Rupture(s) de Claire Marin

J’ai découvert par hasard la philosophe Claire Marin et me suis attelée à la découverte de son œuvre aux titres qui résonnent en moi  » rupture(s)  » ,  » s’adapter« . Parlons du premier.

Cet essai philosophique traite des ruptures au sens large que chaque être vient à mener au cours de sa vie. Les ruptures avec l’être aimé évidemment, mais aussi les ruptures familiales, les ruptures avec son être au cours des différentes étapes de sa vie, les ruptures nécessaires, celles qui s’imposent à nous.

En s’appuyant sur des œuvres littéraires telles que lambeaux de Charles Juliet que je me souviens avoir dévoré au collège, l’être et le néant de Nietzsche ou d’autres qui me font de l’oeil comme la vallée des larmes de Patrick Autréaux, Elle démontre les multiples êtres que nous sommes et les déchirures qui parcourent nos vies même les plus heureuses.

A mon sens, cet ouvrage vient casser les idées du développement personnel où il faut être aligné et unique, un seul soi clair. Au contraire, nous avons de multiples facettes simultanément, mais aussi au fil du temps. L’auteure expose combien il peut être difficile de vivre les ruptures « naturelles » d’une évolution, un décalage entre la représentation que les autres font de nous et ce que nous sommes, ce que nous devenons.

Les ruptures sont là où on ne les imaginent pas forcément. Dès la naissance, l’auteure présente différentes ruptures de l’être. Ce qui donne une meilleure approche de ces moments de vie, ces vécus et ces expériences.

Je souhaite revenir sur quelques extraits, même s’il a été difficile de ne pas surligner tout le livre.

« Ne sommes-nous pas faits de la juxtaposition d’identités sans lien qui se combinent au gré des circonstances? D’après Nietzsche, ce préjugé de l’unité viendrait de la grammaire. Nous croyons qu’il existe un moi, car nos langues européennes le conjuguent. Ce principe de rassemblement est aussi la première chose que l’on dit à l’enfant, en lui répétant à longueur d’éducation: «Cesse de t’éparpiller, concentre-toi!»« 

Qu’est ce que je l’ai entendu cette phrase ! Tête en l’air, abeille butineuse (logique, non?)… En entretien d’embauche  » A toucher à tout, à vous éparpiller, vous n’avez pas finalement peur de n’être bonne à rien? » (violence extrême de ce directeur). Ces derniers mois à explorer ma fibre artistique, ma curiosité sans borne, ma véritable nature : «  tu n’as pas peur de trop t’éparpiller?« . La réponse est non ! Je ne me suis jamais aussi bien sentie que depuis que j’ai accepté et embrassé cette nature de butineuse, d’intérêts multiples, naviguer entre mes diverses personnalités. Nietzsche, nous allons avoir prochainement un tête à tête, tu m’intéresses.

« La nuit, moment de rupture, est le temps de la lucidité, mise en suspens des contraintes, des normes et des regards qui jugent. Elle offre cet espace où la représentation est acérée, les sens exacerbés. La nuit, le mensonge à soi-même n’est pas possible.« 

Ce qui explique ce moment privilégié pour les ruminations, les insomnies. Ce qui explique aussi que les conversations les plus intéressantes ont souvent lieu à la tombée du jour, à un moment où le temps se dilate. J’ai besoin du soleil, mais j’aime la nuit pour sa vérité. Sa magique vérité lucide.

« Pour échapper à la tension d’être soi, l’homme a peut-être besoin de démultiplier les personnages qu’il anime. »

Bergson, toi aussi je vais devoir m’entretenir avec tes idéologies. La lecture, la reconstitution médiévale, l’écriture, la peinture, les différentes catégories de ce blog… Autant de façon de diversifier les personnages qui m’animent, vivre les vies que je ne pourrais pas vivre. Oui, c’est tendu d’être un seul soi, et c’est épuisant.

« La psychanalyse montre au contraire que nous nous enlisons souvent dans le bégaiement des mêmes échecs.« 

Je n’avais aucune conscience avant de commencer ma psychanalyse de suivre des schémas répétitifs. Des schémas problématiques finalement pour l’épanouissement de mon être. J’ai beaucoup bégayée dans la fuite en avant, dans l’entretien de mes travers, attitudes et relations toxiques. Je peux fièrement dire après 2 ans de psychanalyse que j’arrive à bout de nombreux schémas, et je parviens à les identifier plus facilement quand ils reviennent à la charge.

« Toute naissance ou renaissance, par la rupture qu’elles présupposent, doivent être accompagnées. Penser la rupture, c’est penser aussi l’hospitalité qui accueillera l’individualité en transit, entre le double et l’un (dans le cas d’une naissance), ou le faux et le vrai (dans le cas d’une renaissance), et lui offrira une sphère de sécurité où déployer son être vulnérable, où affirmer son identité encore fragile. Mais on peut également soutenir que toute rupture pour être supportable doit aboutir à un acte de création. »

Qui peut se targuer de vivre à 29 ans la violence de la naissance en se détachant de ses parents, ne plus vivre pour trois et une renaissance en même temps en quittant les étiquettes qui nous ont été collées à la peau? Bienvenus au club! Merci à mon amoureux, merci à mes amis, merci aux personnes bienveillantes, merci à mes thérapeutes de m’avoir offert ce cocon sécure, m’avoir aidé à créer Sérénité et toutes les techniques pour la rejoindre afin de m’affirmer et créer les nouveaux moi, plus cohérents. Merci à toi lecteur fidèle, pour ton attention, tes commentaires et me faire sentir en sécurité sur ce blog si cher à mon cœur.

« L’abandon à cette sexualité est l’expression paradoxale de cette destructivité inscrite en nous. Cette sexualité dévoratrice est comme la reprise en soi du néant et acceptation de sa présence, désormais centrale dans notre vie. Quelque chose de la violence subie s’est immiscé. Il reste en nous la trace de la morsure, de la brûlure du néant. Dans cette fureur à jouir, le sujet éprouvé se déleste d’un peu de cette tension destructrice qui l’anime. […] Elle [La libido débridée] est l’expression par le corps et dans la relation à autrui de l’expérience de la perte par ailleurs si difficilement communicable. Exploitant la proximité symbolique de la sexualité et de la mise à mort, cette « effervescence amoureuse » est en réalité approchée dans le drame, mise à mort de soi et d’autrui. Mise à mort de celui que l’on était, dans sa naïveté, sa confiance en la vie, et deuil d’une insouciance perdue dans le rapport au autres et au monde [. . . ] « 

Quelle claque. Quelle prise de conscience. Quand ce que je prends pour un schéma d’enfance répété, une pulsion de vie excessive n’est autre que la résultante du mal passé. Un mal dissimulé, longtemps enfoui. Un mal subconscient. Un mal tout de même. Oui, « la fureur de jouir », « la libido débridée », « l’effervescence amoureuse » ont résonné en moi, on fait vibré mon être. Un passage à relire, à digérer.

« Citationception », citations dans les citations

Comme Claire Marin s’appuie sur divers ouvrages, il y a des citations issues d’autres ouvrages qui m’ont particulièrement touchées, des textes redécouverts sous un jour nouveau suite aux expériences de la vie.

« Plus tard, tu découvres cette autre évidence : puisque tu ne t’aimes pas, il t’appartient de te transformer, de te recréer. Une certaine exigence t’habite. Elle te soutiendra, te guidera, te fournira la petite lumière qui te permettra de te frayer un sentier dans ta nuit. […] En premier lieu, mettre à mort cette enfant de troupe qui survit en toi. Qui survit en toi avec ses craintes, ses blessures, le souvenir des humiliations subies, ses révoltes, son ressentiment… Puis aller jusqu’à l’extrême de la peur. Jusqu’à l’extrême de l’angoisse. Jusqu’à l’extrême de la culpabilité. Jusqu’à l’extrême de la haine de soi. Jusqu’à l’extrême de la détresse. Et à chaque fois, parvenu en un point ultime, garder les yeux ouverts, et du sein du magma, observer, enregistrer, acquérir une juste connaissance de tout ce qui te constitue. » _ Charles Juliet « Lambeaux »

Baby Mel es-tu morte?
La fin de cet extrait me fait penser aux séances d’EMDR ( Eye Movement Desensitization and Reprocessing), Désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires. Je replonge à travers ces séances dans différents épisodes traumatiques et j’observe, je revis, je reprogramme, je comprends et je m’apaise.

La partie sur les naissances et renaissances m’a fait penser à mon dieu vivant :

Si l’émotion d’une naissance exalte, rien ne dépasse l’émotion d’une renaissance car on la perçoit en pleine conscience.” La vengeance du pardon – Éric-Emmanuel Schmitt

Je ne peux que vous recommander Rupture(s) de Claire Marin qui est l’un des rares ouvrages à rester sur ma table de chevet pour des relectures fugaces de passages. Un riche essai qui me bouleverse et m’amène à réfléchir tout en restant très accessible.

Une réflexion sur “Rupture(s) de Claire Marin

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