Chicoutimi 24/09/2015
C’est attablée au petit déjeuner au bar équitable de Chicoutimi que je fais le point sur ces derniers jours. J’aime ma vie.
Hier, nous profitons de la matinée pour faire nos lessives et nous reposer. A midi un vieux monsieur vient nous chercher. Il nous emmène dans le secteur de Sainte Marguerite au cap de la boucle de 12 km dans le fjord. Nous arrivons dans le parc, un peu surprises de trouver un panneau avec l’indication des tarifs, des enveloppes et une vieille boite aux lettres où insérer nos droits d’entrée. Honnêtes, et sachant que cela sera sûrement réinvesti dans la protection et l’entretien du lieu, nous nous exécutons, tout en pensant que cela fonctionnerait moyennement par chez nous.
Le sentier bien que visible, n’est pas vraiment marqué. Le décor reste sauvage. Nous croisons des écureuils et nous heurtons au silence de la forêt. La mousse vert clair et les esprits, les sylvains de Princesse Mononoké se laissent deviner, ambiance magique.
Très vite et sans beaucoup d’efforts nous arrivons à un premier point de vue du fjord. Les vallons, la flore, le soleil, le bleu profond du fleuve à son embouchure. Et le silence. Il fait beau, mais pas trop chaud. Devant nous, les entrailles du fjords. Capture mentale de l’instant. Souffle coupé face à l’immensité de la Terre.
Au fil de la balade, la montée se fait de plus en plus ressentir. Nous arrivons à un refuge de montagne et décidons de pique niquer sur la terrasse. Un bel aménagement accessible gratuitement et librement.












Cela ne fait même pas un kilomètre que nous évoluons dans ce décor. Très vite, le temps entre dans une distorsion étourdissante. Nous perdons le fleuve de vue pour nous enfoncer dans la montagne, sous les branches et la roche. En tout et pour tout, nous croisons 3 randonneurs. Puis la solitude. Nous sommes définitivement seules face à la nature. Into the wild. Ironiquement, nous vivons exactement ce dont nous rêvions devant le film. La « descente » vers le fleuve n’est pas aisée. De nombreuses montées laborieuses jonchent le chemin. Aucun panneau ne nous guide ni n’indique le kilométrage. Nous hésitons souvent sur les directions possibles. Je transpire, j’ai froid, j’ai chaud. Mon souffle haletant me fait peur. Je ne vois plus le décor. Je suis dans un couloir qui ne cesse de grimper, tirant sur tous mes muscles et brûlant ma gorge et mes poumons.
Depuis combien de temps avançons-nous ? Où sommes nous? Cette nature opaque à perte de vue devient étouffante. Il y a des écureuils, des castors, des loutres et des porc épics. Et des ours noirs. Nous essayons de ne plus y penser. Le paysage change régulièrement. Nous arrivons sur des amas de pierres éboulées depuis probablement des centaines d’années. En tout cas, c’est ce que je me raconte. Romane trouve un bâton pour s’aider à marcher. J’ai vraiment l’impression de me retrouver dans le Seigneur des anneaux. C’est aussi un soulagement de revoir le fjord perdu de vue depuis un bon moment. Néanmoins, malgré nos trois heures de marche, nous n’avons pas atteint la moitié du parcours et le temps file. Fini de flâner ! Il est quinze heure trente et nous entamons une marche plus cadencée dans un silence tantôt méditatif, tantôt de concentration sur les montées. L’effort permet un grand dépassement physique, et surtout en vaut la chandelle lorsqu’on regarde les alentours. Le soleil sur les environs donne un filtre à hollywoodienne.
Le temps n’existe plus. Il n’y a plus de civilisation. Plus de discours. Plus rien d’autre que nos pas, la Terre, les racines et les arbres. Nos muscles sont les seuls à crier. Vers dix huit heures, l’inquiétude nous gagne. Nous avions enfin aperçu Tadoussac et pension redescendre rapidement. C’était sans compter sur la forêt qui nous a de nouveau happée dans son obscurité et ses chemins qui n’en sont pas. Plus aucun panneaux et un magnifique cul-de-sac en chute libre sur l’anse. Le jour décline. Pas de réseau. Pas d’eau. Il faut suivre une grande montée pour retourner au croisement où nous avions longuement hésité. Nous prenons soudainement conscience de notre inconscience. Parties la gourde à moitié vide, sans numéro de téléphone, sans carte. Notre seul espoir en cas de souci est d’avoir prévenu l’auberge de notre destination. Et encore. Nous tombons enfin sur un panneau. Tadoussac. Le détour est immense. Nous rejoignons la ville par le côté opposé de ce que nous anticipions, du côté du lac aux Castors. Au loin, nous apercevons le vieux guide et son groupe. OUF!
C’est épuisées, déshydratées mais terriblement soulagées que nous atteignons sur les coups de 19h l’auberge après les 12 kilomètres s’étant transformés en 20 km. Nous sommes exténuées mais fières.






Le monde est petit. Je reçois un message d’un ami de collège et lycée perdu de vue. Il vit maintenant au Canada, à Chicoutimi et il accepte de nous héberger. Nous nous lançons donc en stop le jeudi matin sur la route vers 11h. Nous « levons le pouce » pour la première fois du séjour, ç vue et à la merci des voitures. Une fille de notre âge fait une course au dépanneur près duquel nous sommes, mais ne va pas dans la bonne direction. Mes muscles vont exploser après la montée d’un kilomètre on ne peut plus pentue que nous venons de gravir, au lendemain de la randonnée infernale. Finalement, la demoiselle revient 5 minutes plus tard pour nous déposer à 3 minutes de la ligne droite pour Chicoutimi. Merci mademoiselle ! Nous somme très reconnaissantes. Les gros pick-up et les femmes par la suite ne s’arrêtent jamais. Un homme d’une cinquantaine d’année travaillant sur le traversier nous dépose à Sacré-Cœur. Son accent est si fort, que je peine à tenir la conversation. Pour « ours noirs » je crois entendre » eaux noires ». Je suis désolée d’être si dure de la comprenette. Il nous demande de faire attention à nous. Les gens sont plutôt bienveillants et aimables. Je suis touchée. A peine il fait demi tour que déjà une voiture s’arrête pour nous. Un jeune homme brun s’excuse du rangement de sa voiture et déblaye de la place pour nous. On dirait moi ! I s’appelle Philippe tout comme notre ami de Trois-Rivières. Il est peintre d’abstrait « trash » dans tous les sens du terme et chanteur musicien dans un groupe de rock. Il est à la même auberge que nous et se rend au lac Saint Jean. Il risque de se faire arrêter par la police avec son téléphone au volant pour nous déposer à l’université précisément où nous avons un plan pour rejoindre mon ami d’enfance. Les gens se démènent pour nous.
Après un rapide passage chez « PCK » le KFC québécois, nous trouvons facilement le chemin de la colocation. Mon ami n’est pas là. C’est sa colocataire, normande elle aussi et un colocataire pur québécois qui nous reçoivent chaleureusement. La maison est immense. Il y a des fresques murales, une cheminée et des enceintes gigantesques dans toutes les pièces. J’ai quelques appréhension. Va-t-on s’entendre comme au lycée? Quand nous apprenions ensemble la guitare? Et puis quand il débarque, je suis rassurée. Il semble s’être acclimaté et intégré parfaitement. Il respire la gentillesse et la joie de vivre, je suis heureuse de le revoir.
La cave de la maison est aménagée en salle de concert avec une table spéciale beer Pong. Très vite les amis, le coloc N°3 et les « tcheums » de Quebec arrivent. De grands barbus incompréhensibles. Mais super gentils, encore une fois.
Mon ami nous fait faire un tour de voiture et nous explique l’histoire de la ville et de la terre. Nous comprenons beaucoup de choses, notamment la création du Saguenay et du Fjord. Car monsieur est en maîtrise de géologie. Forcément ça aide. Un grand rêveur dans un pays sur mesure. Il observe les séismes, guette les aurores boréales et va pécher par -40°c. T respire la joie de vivre et éclabousse de son bonheur, sa simplicité et son enthousiasme quiconque entrent dans sa vie, passe dans son aura. C’est une belle évolution heureuse. Je suis très touchée qu’il ai pris la peine, après cinq ans de silence, de prendre le temps et l’initiative de m’écrire pour me recevoir avec une amie qu’il ne connait pas. Je suis émue qu’il partage avec moi sa nouvelle vie québécoise. Il prend le temps. Je suis sincèrement heureuse d’immortaliser nos retrouvailles en photo. Une seule mais je la garderai précieusement. Je pense qu’il pouvait faire partie de mes meilleurs amis de lycée. L’époque MSN, guitare et foyer. Amis sincères. Je dois prendre la peine d’entretenir. ( Spoiler alert, 7 ans plus tard : je n’ai pas entretenu… déception personnelle).









Il part pour 600km chercher ses parents à l’aéroport, mauvais timing ! Nous restons donc visiter la ville. La petite maison blanche, seul vestige d’une catastrophe en 86, la plus grande dans le top 3 au canada. Nous longeons le Saguenay jusqu’au Vieux Port et remontons la rue Racine. Le rhume commence à s’emparer de ma gorge et de mon nez. L’été indien a ses surprises.
Nous nous arrêtons dans un café pendant 2h. J’écris ma seconde carte pour mon copain de l’époque, une à chaque destination. Ah l’amour. Il aura occupé pas mal de nos discussions, généré par mal de mes craintes. (Si tu lis ces lignes, j’y croyais vraiment.) Je veux grandir, être indépendante, libre et heureuse. J’ai toutes les clés en main pour me donner les moyens d’y parvenir. Alors je savoure chaque seconde du Canada, de l’assurance en ms projets et me tient prête.
Nous dînons sur les conseils de notre hôte dans un restaurant bio équitable. NB : penser à me faire du pain grillé/fromage/pommes/oignons confits.
Nous retournons à la colocation à pieds vers 22h. Il fait froid, le vent mord mes jambes. La voiture n’est toujours pas là. Il y a une dizaine de québécois qui chantent dans la maison. Il faut rentrer. Nous avons du mal à comprendre les accents. Les filles arrivent vite. Nous discutons et j’ai même une conversation avec l’un des grands gaillards à l’accent hors norme. On nous attire en bas pour un beer pong. Je fais équipe avec un certains Vincent, Room mate N°3 et, contre toute attente, nous gagnons en partie grâce à mes envois. Je rougis de plaisir quand je vois et j’entends tous le monde crier et que je tape un check avec mon co équipier. Je me sens intégrée dans un groupe de joyeux lurons. J’aurais joué à mon première beer pong dans un sous sol, avec des inconnus, au Canada. Et gagné ! Je me sens bien.
T rentre finalement vers 23h. Les invités partent les uns après les autres On boit, on fume, on discute. Romane va se coucher. Finalement, nous restons à trois dans le salon. J’en veux presque au dernier invité de ne pas rentrer pour nous laisser raviver les souvenirs du collège et du lycée sans une tierce oreille. On fini par l’ignorer un peu. Il me raconte sa vie après que nos chemins se soient séparés. La magie de son arrivée, le bonheur de s’accomplir ici. C’est passionnant et inspirant.
On écoute de vieux morceaux de Woodstock, de la musique indépendante. On parle guitare. Il a passé le concours et a été profs quelques mois. Il compose. J’aurais bien aimé que Romane ai un coup de foudre tiens! On est nostalgiques. On complète nos souvenirs respectifs. Cette nuit de discussion et de musique est irréelle. Retrouver au fin fond du Québec un ami d’enfance, géologue accompli, épanoui, c’est fabuleux. Je me sens privilégiée.
La relation amicale sans ambiguïté aucune est tellement agréable aussi. Tout est simple. J’ai le sentiment de sentir dans l’accolade de bonne nuit que le plaisir a été partagé. Je ne sais s’il mesure à quel point il m’a donné de l’espoir en la vie et de la joie. Cette homme gagne a être connu. C’est une belle personne.


Le vendredi matin, il est déjà parti, ses coloc’ dorment. Nous nous éclipsons dans la fraîcheur matinale. J’ai un flashback de la Hollande. Le quartier, le froid, la soirée.
Nous petit déjeunons dans le même bar que la veille et mettons 2h à décoller.
Le stop du retour démarre à 12h30. Un ouvrier sur la route du travail nous avance d’une dizaine de kilomètres. Un père de famille de 20 de plus. Un duo de petit vieux de 30 km. A Sainte Rose du Nord, nous auto-stoppons sur une zone parfaite, en bas d’un côte, bien visible avec un petit parking d’arrêt sur la seule route possible vers Tadoussac. Enorme surprise de devoir attendre près de 2 heures. Les gros Pick up et les femmes ne s’arrêtent toujours pas. Nous ne comprenons pas pourquoi personne ne s’arrête. Jusque là, c’était très rapide. Facteur chance.
Finalement, c’est un couple dans une toute petite voiture qui fait une grosse marche arrière. Ils se demandaient s’ils avaient de la place. Oui ! Habitants du Lac Saint Jean, ils rendaient visite à Sept Iles (bien plus haut que Tadoussac!) à leur petite fille née en juin. Elle est bavarde. Ils insistent pour que nous skypions avec leur connexion. Nos parents n’étant pas prévenus, personne n’a répondu. Le geste reste bon.
Ils font un grand détour pour nous déposer devant l’auberge et nous claquent une bise chaleureuse. Le couple de Saint Jean restera dans ma mémoire comme une belle et généreuse rencontre. Encore une fois.
Il faut que j’achète le livre qu’elle m’a conseillé qui allie Afrique et Canada. ( j’ai oublié le titre).
C’est frigorifiées et malades que nous arrivons à notre chère auberge roots définitivement hippie. L’un des bénévoles joue de la guitare pieds nus sur le perron.




Depuis mon lit, où je me réchauffe en buvant un thé à l’érable, j’entends le banjo, puis une personne réviser ses morceaux de piano.
Je m’endors sur du cœur de pirate instrumental « comme des enfants ». Encore un signe musical.
A 19h30, un groupe arrive et nous tire du sommeil. Nous descendons faire notre dernier repas dans cette auberge où je me sens chez moi. Les débuts ont été difficiles mais maintenant je trouve cet endroit chaleureux et on y vit comme à la maison. Il y a toujours un artiste qui fait de la musique ou de la peinture. J’aime manger sur les accords de Lettre à France ce soir. Un autre signe.
Ecrire mes souvenirs sur un air de guitare, c’est tellement reposant. Je ne veux jamais oublier comment je me suis approprié ce grand chalet, cette ambiance 70’s.
En ce samedi matin, nos voisines de chambre nous déposent en voiture en haut de la côte d’1km. La commerçante du dépanneur n’est pas du tout aimable et nous attendons le bus en plein soleil. L’odeur du froid et des conifères. Avec ce ciel bleu, je me sens à la montagne. Je veux aller skier.
Je culpabilise un peu de ne pas étudier. ça passera.