
Ce monde est fou. Les gens sont fous. Egoïstes. Inconscients.
En festival depuis des années. Avec des ados et de jeunes adultes en mal de fêtes depuis 3 ans, COVID oblige. Si seulement je m’étais doutée de ce que ça présageait…
J’arrive à 19h sur le site, tranquillement. Seule, les copains arrivent plus tard. Ce n’est pas grave, j’aime aussi être seule, m’imprégner des lieux, observer la vie autour de moi. Le premier concert, avec un artiste local encore peu connu est assez sympas, je note mentalement quelques titres. Et puis je me perds dans une observation méditative des lumières. Je me perds dans le rythme. Sérénité rythmique. Solitude dans la foule. Je suis bien.
Un vendredi, la plupart des gens travaillent, la majorité se dit qu’arriver pour Orelsan, c’est le plus important, pas avant. Les copines se retrouvent dans les bouchons pour accéder à ce petit village de Normandie. Et puis ça se bouscule et ça fait la queue aux bracelets d’entrée, à la fouille et pour accéder au site. 4h que je suis devant les barrières de la scène principale, tant pis on se retrouvera après. Je ne bouge pas.
22h, les gens commencent déjà à pousser et jouer des coudes pour gagner ma place. En mode bourrique têtue, je raidie les jambes, je tends mes bras perpendiculairement à la barrière. » You shall not pass » ( j’espère que tu as la référence!). Je me félicite d’avoir réussi à éviter un pogo en faisant ma maîtresse en colère dans un excès d’agacement avec les gamins relous derrière moi. Quand je dis gamins, on à sûrement même pas 10 ans d’écarts, mais la maturité n’est pas au rendez-vous pour tout le monde.
23h, quelques minutes seulement nous séparent de l’arrivée de la star du crue ornais. Je sympathise avec un groupe de 6 demoiselles manchotes ( elles ont toutes leurs bras, elles habitent simplement dans la Manche). Très gentilles, elles m’intègrent dans leur groupe. On est solidaires, on se défend et on se soutient dans la lutte pour garder nos places. Développement de techniques à coups de fesses. Je me prends la tête avec une blondasse arriviste qui tente désespérément de m’arracher le bras pour toucher la barrière. » Tu crois vraiment que de me blesser et d’écraser les gens tu vas mieux le voir et mieux l’entendre en gagnant 10 cm au prix de la douleur des autres? » foutage de gueule et peut de répartie… J’abandonne l’affaire. Aucune discussion possible avec certaines personnes.
Je discute avec le sosie de l’oncle de ma filleule, rajeuni de 20 ans. Il a grugé tout le monde, mais a néanmoins compris que je ne le laisserai pas passer. J’ai hésiter à plier mon genou pour un coup bien placé, mais je ne veux pas m’abaisser aux techniques des abrutis de service. Respecter l’intégrité physique et morale de mes congénères, aussi irrespectueux soient ils me semble plus important.
Je suis compressée. Louise s’accroche à moi. Camille me soulève littéralement sur ses fesses en essayant de gagner de l’espace autour d’elle. Je suis ravie d’avoir mon sac à dos qui me permet de n’avoir personne sur mon dos. Une demoiselle que j’ai envie d’appeler Laura même si je ne connais absolument pas son prénom s’excuse de s’accouder à mon épaule qu’elle trouve au passage très confortable. J’aime bien cette sororité/fraternité qui s’instaure dans ces situations de promiscuité. Finalement, nous ne sommes pas si seuls. J’ai plutôt l’habitude de cette cohésion, cette entente solidaire de foule. Et j’aime ça.
Il est en retard. ça pousse à fond. Mon sac à dos ne me protège même plus. mes seins sont sur le dos de la jeune fille devant moi. il me suffirait de tendre les lèvres pour embrasser le sosie familial à côté de moi. Les lumières s’éteignent, la scène s’illumine. Hurlements. Pression des corps. Orelsan est là, en contre jour. Je filme les premières notes et puis j’abandonne. Je n’ai même pas la place de remettre mon téléphone dans ma poche. Mes bras sont tordus et compressés dans des positions étranges.
Et là… Ballottée de gauche à droite. A la fois compressée en avant et reculée. Mes pieds ne touchent plus toujours le sol. on piétine mes chaussures qui commencent à se dérober de mes talons. Je lève la tête vers le ciel. Ma poitrine est comprimée, je ne peux plus respirer. Je ne maîtrise plus rien. Une personne à côté de moi s’effondre et se trouve ensevelie sous les corps. Après avoir relâché mes muscles et tenté de me laisser porter par la marée humaine, j’ai soudain peur et je veux partir. Tant pis pour la place. Ma vie est plus importante que de voir Orelsan à quelques mètres de moi. Je préfère l’entendre de loin confortablement assise dans l’herbe que manquer de me faire écraser. Je ne peux pas partir ! Je n’arrive pas à reculer. Je ne peux pas marcher. Je suis bloquée. Les membres de la sécurité sont montés sur les barrières et scrutent la foule. Un homme au t shirt noir, cheveux longs blonds accroche mon regard et me fait signe de lui donner les bras. Je n’en reviens pas qu’il s’adresse bien à moi. Une fois mes mains attrapées, j’essaie de pousser sur mes jambes mais je ne touche pas le sol, mes chaussures manquent de m’être arrachées. J’essaie de sauter vers mon sauveur sans succès. Je hurle que je n’arrive pas. Il tire sur mes bras et me dis de m’accrocher à son cou. Ils sont 3 à tirer sur mes bras.
Je me retrouve soulevée de terre, la chaussure au bout des orteils, et d’un coup, je suis allongée au sol devant Orelsan qui soupire avant de demander aux gens de se calmer puis se retirer de la scène. Le concert est interrompu. Je n’en ai rien à faire. Je commence à pleurer. Je sens l’angoisse monter. On m’évacue sur le côté de la scène. Nous sommes des dizaines. Il y a un jeune homme en grande difficulté respiratoire. Il y a une dame d’une soixantaine d’année avec son manteau jaune allongée devant moi. Quand elle reprend ses esprits, c’est moi qui craque complètement en sanglotant à chaude larmes. Elle me frotte le dos en m’encourageant à évacuer et pleurer un bon coup sans honte. Une organisatrice m’emmène sous le chapiteau de la croix rouge au bout de quelques minutes. Je bredouille un « désolée« , elle me rassure que ce n’est pas de ma faute, que je n’y suis pour rien. Une dame de la croix rouge me fait rire en me disant de sortir la poitrine, effectivement, je peux mieux respirer. J’ai une grande bouteille d’eau glacée entre les mains. Je souffle comme je peux entre les sanglots. La panique a augmenté quand on m’a indiqué par où je pouvais retourner dans la fosse aux teubés. Non, je ne veux pas retourner là bas ! Je reprends ma respiration et mon calme quand j’aperçois l’espace où les gens sont espacés devant le chapiteau pour regarder le concert. Orelsan reprend le morceau qu’il partage avec Stromae, sans Stromae. Je reprends mon souffle, mes larmes se sèchent. Je suis fébrile. Et puis rebelote. Lumière, Orelsan dépité qui arrête de nouveau sa prestation.
Je regarde autour de moi. Des gens allongés sous des couvertures de survie, des personnes qui se tiennent la tête, les bras. des larmes, des difficultés respiratoire. Des membres de la croix rouge dans le rush.
Je remplis une fiche de « victime« . Crise d’angoisse. Je culpabilise. Et à la fois, je n’y peux rien si j’ai cru que j’allais mourir là, seule, étouffée par des abrutis qui poussent pour se rapprocher de leur idole. Des abrutis qui poussent pour le plaisir de pousser et de bousculer, 3 grammes d’alcool dans le sang.
Menace d’Orelsan : » je vais être obligé de ne chanter que des chansons tristes ».
Et puis le concert repart, et moi je reste devant le poste de secours. Je retrouve les gens qui m’entouraient dans la fosse : la demoiselle en vert, le couple trop mignon de nanas, la femme d’une soixantaine d’années et son mari.
Ablaye, le manager et ami d’Orelsan a quitté la scène et, capuche sur la tête passe devant moi une première fois, puis une deuxième. Stagne un peu. Je ne lui parle pas. Pour dire quoi?
Le concert était magique! J’ai envie de revoir Orelsan sur scène, mais en zénith avec ma place assise.
J’ai une pensée pour toutes les personnes qui ont été blessées, ou en difficultés pire que moi.