Jour 27 05/10/2015 Toronto
Le dernier jour à Ottawa, nous rangeons la maison de fond en comble. Il faut rendre les clés à Huong, la voisine vietnamienne que nous avions rencontré à notre arrivée. Elle met bien cinq minutes à traverser sa grande maison pou venir nous ouvrir. Une si grande maison pour une toute petite femme seule. Elle nous fait entrer. Elle a quelque chose à nous montrer. Mystère. Les photos de son mari à la guerre et la stèle commémorative de Carpiquet, juste à côté de Caen où Romane et moi habitons à l’époque. Le monde est infiniment petit. Je ne sais que dire à cette femme qui idolâtre son mari. Je ne connaissais pas cette histoire de la guerre. Elle nous propose de venir dîner le soir avec elle et son nouveau compagnon. Cela nous semble malheureusement compliqué. Gênées nous refusons. Nous prenons donc le thé avec elle. Elle nous raconte son père, le Vietnam, son mari ambassadeur et leur vie de nomades au Portugal, en Chine… Sa fille aux Nations Unies en Suisse. L’histoire chargée de la Maison où nous avons vécu cette semaine, classée au patrimoine Historique et ayant appartenu à l’homme ayant nommé la ville d’Ottawa et à l’ambassade de Cuba. Nous mesurons notre chance. Vivre dans un quartier aussi chic, aussi empli d’Histoire, avec des gens si hauts placés et surtout aux milles histoires. Pour deux petites back Packers, c’est inouï.

Un voyage unique en son genre, teinté de chances, de signes du destin et d’expériences improbables. Je suis touchée de cette chance, ces privilèges dont nous jouissons et étonnée. A 14h, nous quittons enfin Huong après échange de mails pour rejoindre l’Auberge.
Je savais que l’auberge se tenait dans une ancienne prison, je ne pensais pas que les chambres et les douches se tiendraient dans d’anciennes cellules avec les lits couchettes et les portes à barreaux. Encore un lieu et une expérience hors du commun que de me retrouver derrière les barreaux littéralement l’espace d’une nuit et d’arpenter ce bâtiment froid et vieux. Nous nous rendons au marché Byward. Je suis un peu déçue.


Encore une fois, la 4ème dimension nous suit. Nous entrons dans une église et la lourde porte pourtant bien solide et sans personne derrière se referme sur nous, exactement comme dans les films d’épouvante. Même Romane remarque ce phénomène. Nous nous sentons bizarres. Une ambiance lourde et glauque. Pour nous rendre à la maison du Gouverneur, Rideau Hall, nous empruntons quelques raccourcis et petites rues. Nous croisons des gens étranges un peu partout. Devant nous, un homme et une femme, probablement ivres et drogués ou juste en très grande souffrance psychique, nous font peur. Discrètement et en un regard nous décidons de faire demi tour. Ils se mettent à nous interpeller et à nous suivre, tels des Zombies en criant. Nous ne comprenons pas leur anglais avalé. Une autre femme plus loin nous croise et nous lance quelque chose, trop vite. J’ai l’impression qu’elle nous juge d’avoir fait demi-tour. Je me sens très mal. Plus loin la statue d’une araignée géante ( sculpture « Maman » de Louise Bourgeois). Et toujours le froid. J’en ai marre de cette ville ou je ne me sens pas tranquille, avec tous ces signes d’horreurs, ces sensations d’un ailleurs inexplicable. La nuit en prison est compliquée. J’entends les voisins ronfler, les portes grincer, les ombres danser dans le clair de lune sous la porte. J’imagine presque les fantômes meurtriers.
Le matin, j’ai du mal à démarrer. Il faut pourtant se presser pour prendre le bus qui doit nous mener jusqu’à Toronto.


Je ne pensais pas cela possible. Presque un an depuis la dernière. Pourtant c’est bel et bien arrivé. Crise d’angoisse incontrôlable dans le bus. Le temps est gris, le bus est chaud de manière étouffante. Je suis fatiguée mais je ne parviens pas à m’endormir. Mon amoureux tout frais en France me manque. Et toutes mes insécurités me sautent à la gorge. Je stresse pour les cours que je suis sensée suivre en distanciel, mais que je ne parviens pas à ingurgiter entre toutes ces vadrouilles. J’ai subitement terriblement mal à l’être. Je me sens ridicule. J’ai peur. L’angoisse. Romane remarque ma respiration saccadée, mon teint livide et les larmes au coin de mes yeux. Nous peinons à trouver l’hôtel où je n’arrive plus à pleurer. J’aurais préférer exploser pour me libérer. Je me confie à Romane, une oreille si attentive et compréhensive. Je m’apaise. Je m’en veux terriblement d’assombrir notre voyage par mes larmes et mes angoisses incontrôlées.
Il pleut et notre quartier est mal famé. J’ai besoin de réconfort « le gras c’est la vie ». J’en ai pour vingt dollars de sucre, de gras, de chocolat et de sel. Un bon bain, des pop corn en chantant « All by myself » et en discutant avec Romane. Une magnifique soirée fille, la douceur de l’amitié, un bon souvenir d’une difficulté passagère. Bridget Jones en puissance avec mes grosses cuisses et ma bedaine que je n’arrive pas à perdre ( note 2022 : si j’ai toujours quelques soucis à « manger mes émotions », je suis contente de constater que mon regard sur mon corps est plus aimant et bienveillant aujourd’hui), nue dans la mousse avec mes pop corn à chanter du Céline Dion et rire avec Romane, je ne pouvais pas rêver mieux comme réconfort et comme meilleure amie. Merci Romane !
Nous nous endormons devant un film on sous-titré avec Sandra Bullock à la télévision. Une comédie. Mon oreille s’habitue à l’anglais peu à peu.

Le réveil à Toronto est meilleur que mon arrivée. Je me suis reposée, et comme pour les enfants, ça va beaucoup mieux après avoir rechargé les batteries. Je relativise. Nous sommes prêtes à conquérir Toronto !
Nous nous baladons dans la vieille ville avec les bâtisses anciennes et dans le dos, le quartier des affaires et sa grande tour CN. Nous passons par le port et la galerie d’art Inuit. Le cœur de ville ressemble à une grande ville des Etats-Unis et nous nous sentons plus en sécurité que dans le quartier de l’hôtel. Anonymes aussi. Nous marchons longtemps. Tout se ressemble. Mes jambes me font mal à cause des semaines intenses de marches et de la crise d’angoisse d’hier. Si j’apprécie marcher, les grands espaces de Tadoussac me manquent. Je me sens relativement bien à Toronto bien que quelque chose de lourd me pèse sur la tête et dans l’abdomen. Quelle sensation étrange.




Nous décidons de monter à la tour CN, attraction de la ville. Je retrouve l’ambiance de l’Empire State Building, très touristique, très américain. Je suis surprise que tout soit en intérieur arrivées au sommet. La ville vue de Haut, toute géométrique ne me plait pas. La vue est impressionnante, oui, c’est gigantesque, mais ce n’est pas beau. Mon regard est happé par le Lac Ontario et les nuages qui s’y reflètent. J’ai vraiment quelque chose pour le rapport miroir ciel/eau et les nuages. Nous avançons sur le sol en verre. Sympa mais pas assez aventureux pour moi. Sortir sur la petite partie extérieure complètement grillagée nous permet de réaliser la hauteur et ressentir le vent et le froid.




Pause café plus que nécessaire. Et shopping. Je craque pour un piercing avec une plume, comme on en trouve pas facilement en France.
L’espace temps se creuse, déjà 19h. La petite place time square miniature est en effervescence. Pubs religieuse, concert de rap, Shoppingaholic… Et les lumières.
Soirée tranquille à l’hôtel.
Jour 34 06/10/2015 Toronto
Une matinée à ne pas se presser à ne rien faire, il y en avait bien besoin. Je prends le temps de rédiger mon carnet de voyage, flâner sur internet, regarder la télé, me coiffer. Nous cherchons le Clouds Garden et le Burritos Bandidos dont on m’avait parlé. Le premier est minuscule, le second est introuvable. Nous échouons au Swiss Chalet pour un gros burger vers 15h. Je me confie à Romane, encore une fois sur de nombreuses peurs et doutes qui m’habitent. Ma dépendance affective. Mes insécurités. J’ai de la chance de l’avoir pour amie. Elle me rassure. J’ai exorcisé. Je veux que cette parenthèse de mal être se ferme jusqu’à la fin du voyage.
Nous atterrissons dans une ville sous terraine, une grande galerie marchande. Je craque à Garage pour un châle écharpe. J’hésite pour une écharpe en laine. Elle n’est plus là le lendemain. Tant pis. Nous rentrons tard à l’hôtel, en priant pour que rien ne nous arrive dans ce quartier aux nombreuses personnes droguées et alcoolisées. Des yeux hagards, des vêtements sales, des personnes en détresse qui nous ramènent à la réalité de la vie . En pleine nuit, dans les rues sans lumière au Togo, je n’ai jamais eu peur, je ne me suis jamais sentie en insécurité. Ici, je tremble.
Le massage de Romane me fait un bien fou. Une vraie bénédiction pour mon dos. Le départ de Toronto m’enchante!