Grandeur & décadence

Grandeur

Un pique-nique sur la plage en famille. c’est une idée de tante Huguette. Tout le monde avait sauté dans le monospace et en route pour Ouistreham. Les cousines et les oncles éloignés avaient fait l’effort de se libérer. Se réunir une fois par an, ce n’était pas la mer à boire. Enfin lui, goûter l’eau de la mer, ça le séduisait quand même. Ses petits yeux, bien qu’aveuglés par la réverbération continuait de sauter d’une mouette à l’autre, d’un bateau à un promeneur, avec curiosité. La plupart des gens ne faisait pas attention à lui ou alors lui adressait la parole d’une manière exagérément trop forte. Il ne prenait pas la peine de répondre ou alors d’un bref gloussement, quelques interjections tout au mieux. Souvent, il détournait simplement la tête. Le monde le fascinait bien plus que les interactions des autres qui lui échappaient. Il assistait aux retrouvailles distant, comme étranger à cette famille qui était pourtant la sienne. Le monde extérieur offrait tant, il s’évadait de la sécurité familiale dans l’instant présent et absorbait toutes les informations que ses sens voulaient bien lui délivrer.

Le vent glissait sur son crâne lisse en agitant ses petits cheveux blancs clairsemés. L’odeur de la crème solaire se mêlait à celles des embruns, des coquillages et des fientes de mouette. Une fine pellicule de sel et de sable fin s’accrochait à ses pommettes. La litanie des vagues mourantes sur le rivage raisonnait dans ses oreilles. Ses doigts qu’il porta à sa bouche lui laissèrent un goût de minéraux et de crustacé. Il avait soif de la vie, faim d’évasion. Chaque sensation, chaque nouveauté l’éloignait un peu plus du cocon où il végétait depuis trop longtemps.

On avait pris soin de l’installer sur une serviette en éponge, étalée sur le sable. Les irrégularités de la plage, grande cuisse du littoral à la peau d’orange, le dérangeait. Il essayait de garder sa stabilité discrètement, pour ne pas attirer les moqueries des autres. Ces grands dégingandés s’afféraient à étendre les serviettes, la nappe, sortir les glacières tout en fracas de portières et en claquements de gorges. Les cousines inséparables, des bancs du lycée aux soirées pyjamas du weekend étaient déjà en maillot de bain, à se prélasser sous les caresses du soleil. Il ne comprenait pas cet engouement pour cette source de chaleur qui mordait sa peau laiteuse et fragile.

La faim le gagnait. Bien qu’on lui ai posé sur les genoux une assiette de purée, il dévorait du regard les aliments colorés et les viandes aux odeurs de braises. Il voulait cette nourriture que tous semblaient manger par mécanisme, trop absorbés dans leurs babillages. Quand Bruno posa son assiette a quelques centimètres de lui pour se servir à boire, il en profita pour subtiliser ce qui ressemblait à une côte de porc. Le gras juteux coulait sur ses mains. Bien qu’agréable, cela manqua de lui faire perdre l’objet de son dévolu dans les grains de sable. Redoublant de concentration et tâchant de calmer sa hâte, il serra un peu plus et porta à sa bouche le morceau de viande. Le goût quand la chair cuite rencontra sa langue parcouru ses papilles comme une décharge électrique. La saveur de la viande relevé par une pincée de sel et quelques grains de poivre le ravissait. Il salivait abondamment. Et puis la frustration s’empara de lui. Au moment de croquer, la viande ne céda pas contre sa gencive. Il était tout simplement physiquement incapable de déguster la côte. Il suça encore un peu le morceau afin d’en retirer toute la saveur faute de pouvoir mastiquer. Bruno s’esclaffa « Ma côte de porc ! » , dépité, n’osant lui reprendre de force. Laissant la colère s’immiscer en lui, il jeta rageusement la côtelette au loin. Des goélands s’élancèrent dessus, ne laissant à Bruno, aucune possibilité de récupérer son bien.

Il évita son regard noir et porta son attention sur un besoin plus important. Des fourmis lui parcouraient le bas ventre, comme pour rejoindre frénétiquement le sable. un chatouillement agréable, chaud et humide. Les fourmis avaient réussi à rejoindre la plage, il ne les sentait plus. Elles avaient laissé sur leur passage un fourchet cotonneux flasque, souillé. L’incontinence dont il faisait preuve lui paru naturelle, moins pour ses voisins qui sentirent une odeur d’urine exacerbée par la chaleur. On l’emmena un peu plus loin, à la voiture pour le changer. Il restait malgré tout exposé aux regards des passants un peu trop curieux. Ce manque de respect envers sa personne et son intimité l’offusqua. Ses contestations furent ignorées. Ce n’était pas la première fois.

De retour à l’abri du parasol, il tenta de s’intéresser aux discours qui se tenaient là, entre les restes de carottes râpés et les pelletées de sable que les cousins s’appliquaient à envoyer sur les serviettes.
Lucie et ses projets écolo, Martin et sa femme avec leur démarche d’adoption ou encore Marc et sa start up en plein essor. Décidément, sa famille semblait être tournée vers l’avenir et les autres. Quelle grandeur, quelle classe! Lui, n’avait rien accompli, pas de projet qui dépassait la satisfaction de ses besoins primaires. Il n’avait pas de nouvelle à leur raconter. Finalement, c’était préférable, personne ne l’aurait écouté.

La digestion s’activant, il piqua du nez en restant assis, sa tête pendante vers l’avant laissait se dessiner un double menton potelé.

Lorsqu’il se réveilla, la surprise ne lui permis pas de profiter des instants cotonneux du réveil, il écarquilla les yeux. Qui était-ce?

Décadence

A peine la voiture avait démarrée, elle ronflottait à l’arrière de la voiture. Ses gencives l’avait fait souffrir toute la nuit et elle n’avait pu dormir que par intermittence. Aussi, le vrombissement léger de la voiture, l’air climatisé et les paysages défilant avait vite eu raison d’elle. L’avantage à son âge, c’était de pouvoir se faire balader et suivre le mouvement sans se soucier de la logistique. Tout le monde avait l’air si enjoué à l’idée de se retrouver à la plage.

On la porta jusqu’au parasol planté fièrement au centre des serviettes multicolores. Les cousins, les tantes, les frères et les soeurs, tous s’étaient installés par ordre d’âge, d’affinités et de sensibilité au soleil. C’était passionnant de les voir tous s’organiser autour d’un simple objet, sur des restes de coquillages broyés où les mouettes cherchaient des restes à déguster.

La plupart des gens ne faisait pas attention à elle ou alors lui adressait la parole d’une manière éxagérement trop forte. Elle ne prenait pas la peine de répondre ou alors d’un bref gloussement, quelques interjections tout au mieux. Plus personne ne lui en tenait rigueur. On lui parlait par politesse, rarement par intérêt pour la réponse.

Le vent agitait ses maigres cheveux blancs clairsemés. Elle ne sentait plus très bien, comme elle n’entendait plus très bien non plus. Elle devinait à peine le mouvement des vagues mourantes sur le rivage, au loin.

On avait pris soin de l’installer sur une petite chaise pliante, afin de ne pas l’assoir à même l’irrégularité du sable. Elle essayait de garder sa stabilité discrètement, pour ne pas attirer les moqueries des autres. Ces petits jeunes s’afféraient à étendre les serviettes, la nappe, sortir les glacières tout en fracas de portières et en claquements de gorges. Les cousines inséparables, des bancs du lycée aux soirées pyjamas du weekend étaient déjà en maillots de bain, à se prélasser sous les caresses du soleil. Elle ne comprenait plus cet engouement pour cette source de chaleur qui mordait sa peau laiteuse et fragile.

La faim lui était désormais étrangère. Bien qu’on lui ai posé sur les genoux une assiette de purée, elle ne dégnait porter la cuillère à ses minces lèvres. La frustration s’empara d’elle lorsqu’elle s’aperçue que le reste de la famille se délectait de viande et de nourritures solides. Evidemment, cela ne lui faisait pas envie, mais elle gardait le souhait d’être traitée comme tout le monde. Cette période était loin derrière elle.

Des fourmis lui parcouraient le bas ventre, comme pour rejoindre frénétiquement le sable. un chatouillement agréable, chaud et humide. Elles avaient laissé sur leur passage un fourchet cotonneux flasque, souillé. L’incontinence dont elle faisait preuve lui paru naturelle, bien que honteuse. Ses voisins semblèrent incommodés, mais ne proposèrent rien pour la sortir de cette souillure et s’éloignèrent simplement, la laissant dans ses excréments.

Pour essayer d’oublier cette sensation désagréable, elle tenta de s’intéresser aux discours qui se tenaient là, entre les restes de carottes râpés et les pelletées de sable que les cousins s’appliquaient à envoyer sur les serviettes. Lucie et ses projets écolo, Martin et sa femme avec leur démarche d’adoption ou encore Marc et sa start up en plein essor. Décidement, sa famille semblait être tournée vers l’avenir et les autres. Elle ne comprenait pour ainsi dire pas tout. Quelle décadence, lorsqu’on devient une vieille personne, que les mots nous manquent, les idées nous échappent et que l’on ne baigne plus que dans ses souvenirs.

La digestion s’activant, Elle piqua du nez en restant assise, sa tête pendante vers l’avant laissait se dessiner un double menton potelé.

Au réveil, elle chercha une personne qui pourrait peut être lui montrer un intérêt vrai. Elle se tourna vers le berceau ou s’était assoupi son petit fils. Elle le fixait sans sciller, lorsqu’il ouvrit les yeux. Plein de surprises, les deux parents se reconnurent. Grandeur et Décadence de la vie.

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