L’université m’oblige à avancer mon retour pour les examens.
La vie ici est tellement différente. On passe notre temps à attendre. Attendre on ne sait quoi. Les gens sont tous affalés sur leurs bancs en bois, même les serveuses de bar dorment sur les tables et il faut les sonner pour être servis. On se lève tôt, mais ensuite, on avance « bléou bléou » (doucement). On donne des coups de fouet pour la cuisine et le ménage. Et quand je parle de ménage, c’est un grand mot pour dire jeter des seaux d’eau sur les murs, le sol, et frotter sommairement avec un balai.

Il y a plein de choses qui me choquent. Je m’aperçois que mes inquiétudes et mon mal être sont uniquement liés de près ou de loin à l’examen. Le manque de confort et la vie de groupe exacerbent cette sensation, mais c’est mon unique frayeur. Que le festival ne se passe pas ou pas comme prévu et que mon maitre de stage me descende en flèche sur le rapport à l’université.
J’écoute beaucoup de musiques, d’ici ou de France et ça me fait du bien. La musique, est un échappatoire de l’esprit.
J’aimerais avoir une machine qui décrirait tout ce qui se passe dans ma tête et tout ce que je vois. Retranscrire en temps réel, avec les bons mots ce qui se produit sous mes yeux et comment mon petit être le digère.
Je n’arrive pas comme maintenant à prendre le temps et les mots justes pour décrire mon voyage. Je ne dois pas oublier, c’est trop violent, trop fort, trop profond. Je ne dois pas oublier tous ces sentiments contradictoires, toutes ces expériences.
Je dois toujours garder ces émotions, ces extrêmes, ces ressentis !
Je ne veux pas être l’une de ces voyageuses désillusionnées et blasées qui se vantera d’avoir fait le Togo en disant «c’était cool sans plus». Je veux garder l’émotion et la passion de cette terre et cette culture quand je raconterai. Je veux voyager toujours dans ma tête et emmener tout le monde avec moi. Je ne rentrerai pas indemne, c’est une certitude.
Accident de moto. Un homme ivre a traversé la route non éclairée à la dernière minute devant la moto. Il y a eu collision. le passager arrière n’avait pas de casque.. Il n’arrivait plus à bouger et ils ont cru que l’homme était mort. Personne ne voulait les emmener à l’hopital sans être sûrs qu’ils puissent payer. Là bas, il leur a fallu payer d’avance tous les services. Ensuite, ils ont attendu plus d’une heure les premiers soins. Quand on arrive, une heure après, le passager arrière est allongé sur une table en bois ensanglantée et sans bouger, le conducteur est debout à côté en train de tourner de l’œil dans le même état. Un infirmier recoud la tête de l’homme soul qui ne veut d’ailleurs pas rester. Finalement plus de peur que de mal, Quelques écorchures et une entorse du poignet du genoux. C’est impressionnant!
L’hôpital… Ce n’est pas un hôpital. C’est un vieux bâtiment avec du carrelage blanc ou s’accumulent les traces de sang avec des pièces vides où les malades s’entassent. J’ai entendu des enfants , j’ai vu des personnes âgées.
Je constate avec stupeur, que malgré le choc culturel, les coups de mous et les disputes, je deviens peu à peu togolaise. Je ne parlerai jamais Ewe couramment, même Antoine qui vit là depuis plus d’un an, avec une togolaise, ne le parle pas. Mais je comprends certaines conversations, certains mots. Je prends l’accent d’ici maintenant ! Je parle plus lentement, avec une intonation différente d’ordinaire, plus chantante et appuyée. Je m’énerve moi même à perdre mon dynamisme, mais c’était à prévoir.
Jai beaucoup d’expressions d’ici. Et de jeux de mots que personne ne comprendra a mon retour. « Ca ne va pas du tout, ah bon, bleoubleou, c’est quoi ça, cool katché maçon, meci, tranquillement, cest bio, le popo, on fait réunion, prester, gatouzer, le goudron, sogoland, grave, direct, alqaida, … » Je connais également ma partie du Togo et Lomé. Je sais prendre les taxis et les zems seule, sans aide, appeler avec le bras, savoir me repérer, indiquer et aussi marchander. Je sais désormais négocier ! Connaître la valeur des choses ici n’était pas gagné mais je connais maintenant et sais être persuasive et ferme pour avoir mes prix. Je ne pensais pas y arriver. J’y arrive. Je me déplace de nuit, je sais où je vais. Il n’y a pas d’électricité dans les rues et à dix-huit heures, c’est la nuit noire et opaque. Pourtant , j’arrive à rejoindre le goudron de la maison en évitant les nids de poule, les buissons et sans sursauter lorsqu’un voisin ou un coq passe autour de moi. Je m’approprie totalement les paysages, les gens, la vie quotidienne.

J’aime finalement cette vie simple sans artifices, ces corps qui respirent, œuvrent pour leur survie et attendent le reste du temps. Ils ne s’encombrent pas du sens de la vie. Ils vivent et c’est tout. Je suis frappée par leur réalisme, par l’acceptation d’être né ici et d’y rester attaché. Ils n’ont pas l’air d’en souffrir ni d’aspirer à autre chose.
Et si notre système essaie de les toucher, si notre « bonté » vient jusqu’à eux, ce n’est pas forcément un bien. J’ai vu en quittant Lomé, un enfant courir. Enlever ses tongues, les regarder et finalement les garder à la main pour courir plus vite dans la terre et les gravas.
J’aime être au contact de ces gens qui se racontent facilement. Qui m’accueillent à bras ouverts, qui sont serviables. Il y a de la fierté d’être africain et de promouvoir sa culture et son pays. Les français ont beaucoup à apprendre. Entrer chez les gens, leur intimité et voir qu’au village, à la maison ou à Lomé, les maisons sont vides et nues. Les gens sont en phase terminale d’une veille de déménagement constamment. Au mieux un canapé et un meuble télé, au pire comme au village une pièce vide avec une table qui recueille tous les biens de la famille et des bancs le long des murs et rien d’autre. Ils dorment au sol sur des pagnes. Ils vivent dehors. Ils vivent de rien. Je m’approprie le climat. Ici, Il fait chaud c’est un fait. Et mon corps devient plus chaud que le temps et commence à accepter de transpirer sans cesse. J’arrive à fuir le ventilateur de fortune la journée et le couper parfois la nuit. J’apprécie ces grosses pluies franches qui me permettent des douches sauvages au milieu des parties communes de la maison à l’air libre dans les rires avec les filles. Lorsque j’arrive à Badou après des heures de route accidentée, dans un camion entassés hommes femmes bagages enfants poules et coqs et que la pluie se déclare sans prévenir dans cette ville au cœur des montagnes sans abris à l’aventure, je me sens vivante. Nous sommes trempés, perdus sans plus aucun but mais nous sommes vivants, nous sommes ensemble et nous sommes sur terre. C’est le véritable voyage. La pluie est belle ici, dans ce village perdu avec la musique française qui crache derrière. On mange des bananes et un sandwich vache qui rit sous les trombes d’eau, c’est ce qui est bon. J’aime également en fin de journée monter sur le toit de la maison et porter mon regard loin de la ville, loin au dessus de la végétation verdoyante et laisser les nuages et les dégradés ombrés du ciel s’inscrire en moi. Le ciel de l’Afrique ne ressemble à aucun autre. Ces lever et coucher du soleil sont uniques, tout en pastel et en épaisseur. Les orages de l’Afrique me séduisent. Ils sont omniprésents, éclatants, lumineux et bruyants. La population ne les craint pas. On vit avec. A Coco Beach, dans notre petite paillotte en pleine nuit, le tonnerre juste au dessus nous tire du sommeil. Le bruit assourdissant de l’eau nous laisse craindre une inondation de la case. Les fuites du toit en palmier sur le lit ne font que confirmer cette peur. Et on est deux dans ce décor de rêve, partagées entre cette peur au ventre de se retrouver bientôt sans abri et l’envie irrépressible de rire. Ici le temps passe d’une façon étrange. On se lève très tôt, on attend dans la journée et on prend beaucoup de temps pour tout. On peut mettre une heure et demi à faire des pâtes. Mais on attend de nous à la maison parfois qu’on fasse des choses trop vite… C’est étrange ce rapport au temps.

Je pense qu’en plus de m’adapter à la vie et au méthode de travail de la maison, c’est surtout ce temps qui file et s’étire a l’infini à la fois qui me perturbe. Ca va aller. La phrase d’ici.
« Je veux garder l’émotion et la passion de cette terre et cette culture quand je raconterai. »
Et bien je vous rassure, elle est là! On la sent dans chaque mot, dans les regards posés sur la vie de ces gens, sur leur façon d’aborder le temps.
Quand il est question de survie, on ne s’encombre pas du psychologique.
Belle semaine et merci de nous emmener avec vous en voyage. C’est toujours un plaisir!
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Votre commentaire me va droit au coeur, vraiment, j’ai encore de l’émotion à réécrire, à raconter, et qu’elle puisse passer, rien qu’à travers l’écran et les mots, c’est mon but, d’emmener le plus de lecteurs avec moi. Au plaisir de vous emmener encore et encore dans mes vadrouilles ! bonne journée.
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