Aného, comment décrire le havre de paix que tu représentes à mes yeux ?

Petite ville de pêcheur, Aného est une ancienne ville coloniale portugaise aux allures de paradis. L’océan, l’Atlantique impétueux y semble plus paisible et arbore de jolies nuances de turquoise. Le sable blanc paraît plus fin qu’à Lomé. De vieilles embarcations de bois décorent la plage.
On voit les pêcheurs démêler leurs filets, de bon matin. Les palmiers dessinent leurs ombres le lond du sable, aux abords des petites villas, vestiges du colonialisme.
Le taxi nous dépose sur le bord de la route au milieu de nul part. Je peine à croire que l’auberge repérée sur le guide touristique soit vraiment ici. Le sable, la terre sèche. Quelques enfants jouent au foot. Et un grand mur le lon du chemin. Nous avançons dans la direction indiquée par le chauffeur, il ne peut aller plus loin en voiture. Je me prépare psychologiquement à un long périple, la quête d’un prochain taxi dans un endroit reculé. Et finalement, au bout du chemin, les doutes s’envolent et la magie opère. L’océan. Paisible comme jamais je n’ai connu l’Atlantique jusqu’ici. Les grains de sable blanc. Les villas carrelées. Les filets de pêche. Les bateaux de bois. La tranquilité du lieu. Je suis subjuguée.
Après toutes les pressions impliquées par le choc culturel, la fatigue de la chaleur et du stage, Aného semble être le remède approprié pour calmer mes appréhensions. Je savoure le paysage, l’air frais de l’océan, l’odeur du sel et le sable entre mes orteils.

Nous assistons au remplissage de la piscine privatisée et nous amusons déjà à ramper dans le fond comme des enfants. La fantaisie et l’imagination n’ont pas d’âges ni de frontières.
C’est un week end de délectation entre flânerie, rires et jeux. Lecture, jeux de cartes, baignades musclées contre les vagues et fous rire pour rincer le sable coincé dans nos fourchets au seau d’eau. L’attente à la commande d’un poulet et d’un poisson lorsque la cuisinière s’en va les acheter vivants au marché. Le plaisir de guetter les éclairs blancs illuminant le ciel derrière les branches de palmier agités, sur cette terrasse paisible.
Je reprends l’écriture après une baignade nocturne avec vue sur la mer éclairée par la lune. Photographie mentale. Moment unique. Et un coup de soleil sur chaque pieds.

Nous décidons d’aller dans la mangrove, prétendument à cinqu kilomètres d’après le Petit Futé, réellement à trente kilomètres de route accidentée que le taxi que nous avons loué ne rechigne pas à effectuer. Nous traversons une forêt de Teck. C’est drôle de voir, pour la première fois cet arbre dans son état naturel.
Nous nous trouvons bloqués dans un troupeau de Buffles. Nous faisons le dernier kilomètre à pieds et arrivons dans un village perdu dans la mangrove, au bord du fleuve Mono.

C’est une vision empreintée à un film de science fiction, sur la découverte d’une civilisation perdue qui m’émeut lorsque nous pénétrons dans le village. Des petites collines verdoyantes avec des pirogues remplies des fruits de palmiers dont ont extrait l’huile. Les enfants se jettent dans le fleuve sans crainte des crocodiles, des serpents ou des vers. On fait sécher des bouses non loin de là pour les maisons.
Les habitants de ce coin de paradis se redressent de leurs tâches et observent les quatre yovos qui viennent d’arriver dans leur sanctuaire d’un œil étonné. Il n’y a pas beaucoup de passage.

Là, une longue négociation pour le prix de la pirogue se tient. On arnaque toujours les yovos. C’est un besoin, c’est culturel.
C’est fatiguant aussi. Surtout pour l’alimentaire et les trajets en zems ou taxi. Après trois semaines sur place, nous commençons à connaître les prix et c’est épuisant de constamment devoir argumenter bec et ongle pour obtenir le bon prix. Pour marchander, il faut l’accent d’ici. Je me surprend à avoir le ton chantant qui monte et descend au fil de mes indignations pour quelques centaines ou milliers de francs. Ça me fatigue, mais je prend goût à faire peu à peu partie de ce monde où les prix ne sont jamais affichés.

La balade commence finalement sur des eaux boueuses mais profondes où, nous le savons, grouillent crocodiles, hippopotames et peut être quelques tortues. Vu l’heure, le soleil tapant et nos voix claquantes, nous ne percevons pas la faune environnante excepté les éperviers planant fièrement au dessus de la mangrove.
Nous discutons de la pudeur des africains concernant les jambes des femmes et la pudeurs des européens concernant les poitrines. Tout est inversé. Nous en apprenons plus sur la conception du mariage et le paradoxe entre la liberté des corps, des relations et les mariages arrangés.
Des enfants pêchent sur une pirogue en face de nous. Ils nous donnent un coquillage, c’est comme un Bernard l’ermite, mais en plus foncé et en plus gros. Je guette les singes discrets dans les arbres majestueux. Mon regard se perd dans l’entrelacement des racines qui se noient dans le fleuve.


C’est une scène figée dans le temps qui se déroule sous mes yeux. Autour de moi. J’en fais partie. Cette balade en pirogue, ce petit village oublié dont j’ai perdu le nom, sont pour moi un moment exceptionnel et privilégié. Partagé avec de nouveaux amis qui me sont chers, même si parfois, je me sent loin d’eux, je ne sais pourquoi. C’est un continuel paradoxe qui se joue, où je suis partie et étrangère à tout ce qui m’environne. L’expérience, bien que perturbante, n’en est que plus forte et extraordinaire.
Une réflexion sur “Togo 4. Aného, petit paradis togolais”