Togo 3. S’ancrer un peu plus

Tous les matins, j’ai le plaisir de faire une visite au village, prendre la moto, passer devant chez le directeur en saluant Mama, les filles, passer entre les hautes herbes en klaxonnant chèvres et poules puis m’engager sur la route rouge longée par les baobabs.

Sur le chemin d’Atité Kopé 2015

Ce lundi matin, je bêche devant la cantine en construction. C’est plutôt agréable de travailler pour un projet en dur, qui restera après mon départ. D’apporter ma pierre à l’édifice pour les enfants du village.

Encore une fête. L’Afrique est festive, joyeuse et musicale. L’Etat d’esprit est bien différent de chez moi. Si c’est la tranquilité des voisins qui prime en France, Au Togo les voisins en fête sont ceux à prvilégier. Une plainte pour tapage nocturne est inenvisageable. Et finalement, il est plus positif de privilégié la bonne humeur à la morosité d’un silence assourdissant.
Nous chantons, nous dansons, nous mangeons avec les mains dans le même plat la pâte. La vie est simple et la nuit nous appartient, à faire la fête sous les étoiles. Encore une fois, c ‘est une photographie mentale que je garde en tête.

Les gens ici sont hauts en couleur, j’apprécie leur compagnie. La fumée et l’alcool débrident souvent les esprits mais je cela reste toujours bon enfant. On s’amuse bien, je n’ai aucun reproche de notre vie en communauté ni sur mon « travail ». Paradoxalement, cette tranquillité et cette douceur de vivre me font peur. Je ne suis pas habituée, et la conception de stage est ici bien abstraite. J’ai peur que mon école bien française ne comprenne pas ce mode de vie.
Pas une once de stress de la part de mes « supérieurs » en matière d’organisation du festival. Serait-ce la clé de la réussite ici ? « Attend d’avoir mal avant de chialer » me disait toujours mon père. J’ai la sensation que l’Afrique adhère plutôt à cette vision de la vie sans se soucier avant d’être devant une mauvaise nouvelle.
Mon éternelle angoisse fait tâche dans le décor. Personne ne comprend ma rigueur dans le travail. Tout cela en vain. Les réunions sont reportées, annulées, en retard. Je m’accommode de ce fonctionnement bien lointain de mes méthodes de travail ordinaires mais après tout, j’ai choisi ce stage à l’autre bout du monde, ce n’était pas pour avoir les mêmes conditions qu’en France. Ce changement radical, sur un sujet aussi important pour moi que les études était la meilleure sortie de zone de confort possible dans mon cas. Maintenant, il faut assumer et s’adapter. Rien ne sert de se plaindre. La peur n’évite pas le danger.

J’apprends enfin à lâcher prise. Je fais tomber le masque de la stagiaire parfaite qu’il est impossible de garder quotidiennement, nuit et jour. Enfin, dès 17h, Je commence à me détendre, et à rire avec mes collègues qui deviennent également des amis. Et je ne m’offusque plus des mains qui s’attardent, des embrassades et des accolades à tout bout de champ. J’ai appris à être tactile, à parler fort. J’ai pris les intonations d’ici et je suis heureuse de partager la maison avec toutes ces personnes. Le manque d’intimité et la promiscuité ne me gêne plus. Le rapport au corps, le rappport à l’autre sont bien différents. Il n’y a pas de pudeur, pas de honte. Tous humains, frères et sœurs et nous nous supportons sans arrière pensée ni ambiguité. Les gens sont francs. Et s’ils tentent quelque chose de déplacé, les refus sont vite essuyés.

Au village, la magie opère à chaque visite. Nous faisons un après midi activités avec les enfants pour les occuper en ces temps de grève scolaire. Cette année, il n’y aura eu que 2 mois de cours sur l’année. Les fonctionnaires font la grève pour obtenir une augmentation de salaire qui ne vient pas. Les enfants passeront malgré tout le brevet et le baccalauréat cete année…
Les petits s’alignent assis dans la terre, les bras sur les bancs de bois et nous leur distribuons en plein mois de mars des dessins de Noël. A côté des petits dessinateurs auxquels Barnabé distribue un à deux feutres abimés par enfants, les plus grands fabriquent des bracelets avec des élastiques.
J’observe avec fascination Une petite dessiner. Elle a sa belle robe orange, des petites boucles d’oreilles qui brille et relèvent son regard et sa petite tête rasée. Sa peau est lisse et brillante. Elle a 4 ans mais semble avoir vécu mille ans et toutes les misères du monde. Cette enfant a quelque chose de profond et douloureux dans le regard. Je connais pourtant ses parents, la vendeuse de pagnes, mama lumière ayant suivi quelques formations avec les volontaires infirmières pour soigner les gens au village lorsque la case de santé est fermée. Ils vivent heureux. Mais cette enfant a quelque chose que je ne m’explique pas. Je suis impressionnée par une enfant de 4 ans. Et dans toute l’effervescence autour, elle s’applique à colorier sans dépasser.

Il y a mon amoureux platonique et spirituel du Togo. Dix neuf printemps, orphelin, il aide toujours les autres enfants plus jeunes que lui. Il est tout doux, il parle doucement, il couve ses amis du regard et leur offre toujours son plus beau sourire. La première chose que j’ai vu chez lui, c’est son grand dos musclé pendant qu’il s’afferait à la confection d’un pagne par une journée d’orage. Les gouttes de pluie luisaient sur sa peu d’ébène et mettait en relief ses muscles qui s’activaient dans une danse du métier à tisser. J’étais fascinée. Et puis ses traits de visage marqués, son large nez et ses pommettes saillantes ont fini de me séduire. C’est un jeune garçon beau, doux et doué, très prometteur, et je lui souhaite le meilleur.

Une des volontaires porte un bébé dans un coin. Cet enfant a une bouille, un charme qui me désarme. Sa maman nous raconte ses secrets de maman africaine. Comment elle s’occupe au quotidien de son bébé, sans biberons, sans parc, sans couches et sans médicaments . Cette maman «sait» lorsque son bébé va faire ses besoins. Il «lui fait un signe». Ces gens sont tellement à l’écoute de leurs corps , les uns des autres. J’aimerais élever mes enfants à l’africaine, à l’ombre des cases, entre les baobabs. Bébé me tend les bras. Je le serre dans mes bras. Pas trop fort, il fait chaud et j’ai l’impression que je pourrai le briser littéralement à tout instant. Il joue avec mes mèches qui déjà blondissent avec le soleil. Il est intrigué par mes lunettes. Il se serre contre moi et me sourit. Ce qui me procure un bien être fou.
J’ai des papillons dans le ventre et la gorge serrée. Je me sens forte. C’est l’effet qu’ont les enfants sur moi, lorsqu’ils acceptent mon amour et me renvoi le leur. Ce bébé me montre à sa manière, sans le savoir, que malgré mon grand égoïsme, mon instabilité psychologique, financière et mes rêves irréalisables, malgré tout cela, j’ai peut-être, « la fibre maternelle » et qu’un jour, j’aurai des enfants, ou je m’arrangerai pour donner mon amour aux enfants des autres. Je suis bien. On immortalise à jamais ce moment de partage avec une photo que j’ai envie d’envoyer au monde entier. «Tu as l’air heureuse sur cette photo » me dit-on. Oh oui, je le suis! C’est la renaissance, la révélation, je suis à ma place au village, avec Godwin dans les bras, entre les Baobabs à écouter le Tam tam.

Mel et Bébé Godwin

Mama et ses filles me mettent de bonne humeur et m’apaisent. Je ne connais personne d’autre avec qui je suis apaisée de cette manière. Nous ne parlons pas forcément ensemble. Les filles parlent très bien le français, mais ne me le montre pas vraiment, elles sont timides.
Il ne s’agit pas de parler. Ici, on apprécie sans gêne la compagnie silencieuse. La nature et les tâches de la vie quotidienne suffisent à rythmer et créer le bruit. La musique! Mama sourit toujours. Même lorsqu’elle est malade ou fatiguée. Le directeur a le regard rieur et la bouille d’un enfant malicieux. C’est le grand père que j’aurais rêvé d’avoir. Il se tient informé sur le monde et nous parlons de la France, de la situation du Togo, des guerres et des catastrophes du monde, de sa vision des choses. Il nous cite toujours les noms des volontaires qui passent par l’association . Il a une émotion toute particulière dans sa voix. Papa aime les volontaires. Il ne fait pas affaire avec eux, il leur montre sa famille et son Togo et apprend à les aimer immédiatement pour ce qu’ils sont, avec leurs défauts et leur attitude de Yovo. C’est une grande leçon d’humilité que d’être acceptée et aimée de cette façon par un homme si respectable. Je voue un respect sans borne pour cet homme qui a tant fait pour l’école du village, pour sa famille et notamment ses filles qui ont des enfants mais pas de maris et travaillent à domicile, et pour mama qui semble toujours amoureuse.

Quand je suis sur la moto les cheveux au vent chaud,quand je vois défiler les baobabs et les bananiers, les femmes en pagnes colorés avec leurs bassines ou fagot de bois sur la tête, quand les enfants me chantent  » yovo yovo bonsoir », quand je monte le soir sur le toit et que je vois la verdure et le ciel d’Afrique si particulier, ou comme ce soir les éclairs dans le ciel à foison, je sais que je suis bien ici, que jai une chance hors du commun.

Coup de blues. Après quinze jours ici, je comprends que ce ne sont pas des vacances traditionnelles qui s’achèvent. Je vais rester là encore plusieurs mois. Pour de vrai. À vivre ici. Faire partie de cette terre. Cependant, je ne me sent pas toujours à ma place dans la maison où cohabitent parfois difficilement Yovos qui ne se remettent pas en question et Ameïbos qui, de mon humble avis, ont un petit complexe d’infériorité infondé. J’ai du mal à quitter mon image de stagiaire parfaite, m’habituer à ce rythme de travail laxiste, ce manque de professionnalisme, devoir porter seule à bout de bras mon projet de festival dont mes collègues semblent ne pas saisir l’importance.
Je n’arrive pas encore à m’imposer. Je n’ose pas. Il va falloir. J’ai peur de gaspiller l’eau et la nourriture. De ne pas être en droit de m’approprier cette maison. C’est pesant. Cela joue sur mon moral.
Je relativise. C’est un mauvais moment à passer. Il faut relever la tête et voir le verre à moitié plein. Déjà, je commence à tirer des leçons de ce voyage qui ne fait que débuter. Après une cure de films et de musiques bien de chez moi, après une bonne nuit de sommeil, je me sens prête à profiter de la vie togolaise pour ces quelques mois encore.

Jour de lessive, toit de la maison, 2015

En relisant ces écrits d’il y a 7 ans… Je me surprends à déceler mon angoisse chronique, une anxiété et des sens exacerbés. Et déjà, un problème pour m’ancrer, prendre ma place. Je pensais avoir résolu cela à l’époque… preuve que non.

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